Isère Sourire : La Voix est Livre

Isère Sourire : La Voix est Livre

Récit d'invention à la manière de Guy de Maupassant

Récit Littéraire

 

à la manière de Maupassant (rédigé le 21/10/2017)

 

 

 

 

Lotta

 

Deux bourgeoises retraitées, prenaient le thé tout en bavardant. C’était un bel après-midi de juin, les papillons tournoyaient de temps à autres autour d’elles et le jardin exhibait ses plus belles fleurs. L’une des deux femmes se prénommait Hortense et elles étaient assises sur sa terrasse.

Après avoir énuméré les événements qui avaient meublé leur semaine respective, Jenny et Hortense évoquèrent l’actualité.

« Il arrive que le hasard réserve bien des surprises. Le bonheur est un monstre aux deux visages qui ensoleille l’existence de chacun d’entre nous mais quand par extraordinaire il vient à muter, il peut aussi la détruire  ma chère » conclut Hortense.

- Hélas... renchérit Jenny.

- As-tu entendu parler de « l’affaire d’Hanna et Daniel Sviden ? » demanda Hortense à son amie.

Vaguement

- Pourtant on ne parle que de ça en ce moment ! L’histoire de ce couple est terrible et illustre parfaitement la malchance masquée sous les traits doux du bonheur familial. Elle fait les gros titres des journaux. Je vais te raconter ce que j’en sais.

 

 

La petite Lotta toute pelotonnée contre la poitrine tiède et rassurante de sa mère, ne cessait de la dévisager. Joufflue et toute rose, elle respirait la bonne santé. Quelques cheveux épars fins comme des brins de soie, dissimulaient à peine ses molles fontanelles. Elle avait crié tout de suite. Hanna encore éprouvée par cet accouchement, profitait de ce moment de calme entre deux passages des infirmières pour instaurer le premier lien d’intimité avec son bébé.

Une autre maman avait donné naissance à une petite fille à deux heures d’intervalle à peine avec Hanna. Celle-ci avait dû partager sa chambre avec elle parce que le service de maternité était plein. Elles cohabitaient leur berceau respectif tout près d’elles.

 

Lotta était le premier enfant d’Hanna et Daniel, un jeune couple de commerçants aux vagues origines suédoises dont ils résumaient à eux deux l’essentiel des caractéristiques physiques : yeux azur, peau très pâle et cheveux blonds. Lotta serait une jolie jeune fille, sa mère aux trente ans conquérants, en était sûre. La veille du retour chez elles des deux mamans, une élève puéricultrice stagiaire à l’hôpital, était venue chercher les enfants l’une après l’autre en demandant aux mamans une tenue propre pour les habiller après les avoir lavées. Les jeunes femmes acquiescèrent non sans une pointe de regret de ne pas pouvoir baigner leur enfant elles-mêmes. Il fallait bien que le personnel en formation apprenne. Résignées, elles confièrent donc leur fillette à cette professionnelle.

 

Le lendemain, Hanna put enfin rentrer chez elle avec Lotta qui semblait bien plus grosse déjà. La veille quand la puéricultrice l’avait ramenée de la pouponnière, tout de rose vêtue, Hanna avait remarqué cette différence de corpulence et en avait été troublée. Elle n’avait pas osé faire de commentaire à ce sujet de peur d’importuner la nouvelle recrue du service et puis si la petite prenait du poids c’était bon signe non ? Avant de partir Hanna avait salué sa voisine de chambrée dont l’enfant dormait dans les bras de son père le visage dissimulé par un morceau de drap blanc.

« Au plaisir de vous revoir » avait-elle lancé à l’attention de Madame Vullard et son mari près d’elle puis elle était partie accompagnée de Daniel et sa petite.

 

Au fil des semaines, Lotta se développait et de sa chevelure si fine et claire des premiers jours il ne restait désormais qu’une épaisse toison noisette. Bientôt elle fut capable de marcher puis de parler. Elle grandissait sous le regard amusé de ses parents qu’elle comblait de joie. Hanna éprouvait pourtant un léger malaise en l’observant. Rien de vraiment perceptible, non, il ne faut pas exagérer, mais un « je ne sais quoi » à la frontière du doute. Pour son cinquième anniversaire Lotta reçut une poupée mannequin dont l’or des cheveux tranchait maintenant radicalement avec l’épaisse cascade de boucles brunes de la petite. Cette enfant était vive, joyeuse mais une intuition étrange s’était faufilé sournoisement dans l’esprit de sa mère pour ne plus la quitter.

 

Dix ans passèrent et Lotta devint une belle jeune fille de quinze ans. Drôle et intelligente, elle se liait facilement d’amitié dans son lycée. Elle était maintenant tout à fait brune, grande, mince. Son regard d’ébène qui chavirait le coeur des garçons de son âge, et ses autres traits physiques trahissaient ses origines. La Suède avait décidément déserté ce corps de fille où nul vestige de son patrimoine génétique ne subsistait. Si Daniel n’y prêtait pas attention, Hanna elle, le remarquait de plus en plus. Elle sentait Lotta trop différente d’eux bien qu’elle l’aimât profondément.

 

C’était un mercredi après-midi d’octobre. Lotta avait invité sa nouvelle amie à venir passer l’après-midi avec elle. Elles feraient leurs devoirs et se livreraient à divers essayages de vêtements qu’elles venaient toutes deux de s’offrir avec leur argent de poche. A quinze heures on frappa à la porte. Hanna criant « Lotta ton amie arrive ! » alla ouvrir. Elle découvrit sur le seuil une superbe jeune fille blonde aux yeux rieurs d’un bleu à faire pâlir la mer. Elle avait pris le premier bus de peur d’être en retard. Lorsqu’elle la vit Hanna, étrangement, se sentit comme apaisée, ressourcée au contact de cette jeune fille dont elle se sentit proche l’espace de quelques secondes.

Lotta arriva aussitôt et entraîna Madeleine dans sa chambre pour lui montrer ses bijoux. Au bout d’une demi-heure, les deux adolescentes en ressortirent et Lotta interpella sa mère.

« Regarde maman comme le bracelet de Madeleine est joli ». Amusée par cette coquetterie, Hanna regarda le poignet de Madeleine et s’exclama « c’est vraiment un tout petit bracelet en or. On dirait une gourmette de bébé ».

- C’en est une répondit Madeleine, c’est mon bracelet de naissance. J’ai juste fait rajouter quelques maillons à la chaîne par un bijoutier parce qu’il ne m’allait plus.

Hanna regarda attentivement la petite plaque et eut soudain un tressaillement, son visage se crispa : la gourmette était décorée d’une coccinelle sur une pâquerette….

Hanna reconnut immédiatement ce bijoux. Elle l’avait acheté pour Lotta quelques jours avant sa naissance. Elle se souvenait que quand elle avait quitté la maternité, la petite ne l’avait plus. Hanna déçue avait pensé qu’il avait été volé. Il y a tant de va-et-vient dans les hôpitaux.

Elle ne pouvait pas accuser Madeleine de lui avoir volé ce bracelet. Où l’aurait-elle trouvé ? Et puis c’était la première fois que Lotta invitait cette fille chez eux. Tout cela n’avait aucun sens. Peut-être que la mère de Madeleine lui avait offert le même présent de naissance qu’elle. Pourtant à l’époque Hanna se souvenait que le bijoutier lui avait certifié qu’il s’agissait d’un modèle unique.

Un orage venait d’éclater. La pluie tambourinait contre les fenêtres, le ciel éructait, tout n’était plus que fureur assourdissante des éléments. Il était dix huit heures, la nuit n’allait pas tarder à tomber. « Je dois rentrer » annonça Madeleine à son amie. Hanna intriguée par cette fille, lui proposa de la raccompagner chez elle en voiture ça ferait prendre l’air à Lotta par la même occasion. Elles sortirent toutes trois en courant jusqu’à la voiture. La grêle implacable venait mourir sur le pare-brise du véhicule. Madeleine habitait en banlieue grenobloise à quelques rues à peine de Lotta. Une fois devant la maison de Madeleine, Hanna et Lotta allaient repartir quand Madeleine insista pour leur présenter sa mère qui serait ravie de faire leur connaissance. Hanna hésitait mais devant l’insistance de la jeune fille elle accepta et sortit de sa voiture avec Lotta. Madeleine suivie de Lotta et Hanna sonna avec insistance à la porte. Elle s’ouvrit enfin et Hanna stupéfaite eut d’un coup une révélation : Elle était là !Elle était là plantée devant elle, un grand sourire divisant son visage. Elle était là droite comme un I, un peu plus épaisse qu’autrefois et les cheveux sûrement plus courts. Elle était là symbolisant la fusion du passé, du présent et de l’avenir :

 

Madame Vullard, la voisine de chambre d’Hanna à la maternité quinze ans plus tôt ! Madame Vullard était la mère de Madeleine la nouvelle amie de sa fille Lotta.

Une farandole d’images du passé inonda d’un coup la conscience d’ Hanna : la toilette des bébés par cette puéricultrice novice, la frappante différence de corpulence de Lotta en si peu de temps, la chevelure brune, sa peau mâte et ses yeux noirs aux antipodes des standards du Nord quand son époux et elle-même avaient les yeux bleus et une peau laiteuse et maintenant cette gourmette qu’elle avait mis au poignet de sa fille un jour après sa naissance et qui avait disparu….

 

Hanna comprenait tout maintenant ! Elle comprenait tout  ! Lotta n’était pas sa fille biologique ! Sa fille biologique c’était Madeleine ! Les bébés avaient été intervertis à la naissance au moment de les rhabiller après leur bain par cette puéricultrice stagiaire. Ca faisait donc quinze ans qu’Hanna élevait la fille d’une autre tandis que sa propre fille, la chair de sa chair, vivait chez cette autre à quelques kilomètres à peine de chez elle. Quand elle allait raconter ça à son mari, il ne la croirait pas. Non, jamais Daniel ne pourrait croire une chose pareille...

 

La mère de Madeleine Vullard sur le seuil de la porte dévisageait Hanna qu’elle n’avait pas reconnue. Voyant sa pâleur, elle l’invita à rentrer chez elle et lui demanda « vous ne vous sentez pas bien Madame ? »

- Si, si réussit à articuler Hanna, avant de s’effondrer foudroyée par une crise cardiaque.

 

 

 

 

(inspiré de l’histoire vraie de Sophie Serrano en 1994)



15/01/2018
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 16 autres membres